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Décryptage

Deezer et Universal repensent le modèle de rémunération du streaming musical

La plateforme française annonce un accord avec la major leader de la musique enregistrée pour refondre le modèle de rémunération du service. Ce système « artist centric » doit mieux récompenser les artistes et la musique qui suscitent de l'engagement, au détriment des contenus d'ambiance.

La plateforme Deezer compte désormais 200 millions de titres, contre 90 millions il y a deux ans.
La plateforme Deezer compte désormais 200 millions de titres, contre 90 millions il y a deux ans. (Shutterstock)

Par Stéphane Loignon

Publié le 6 sept. 2023 à 18:18Mis à jour le 6 sept. 2023 à 18:57

La donne commence à changer dans l'économie du streaming. Après six mois de réflexion commune sur le modèle économique du streaming, la plateforme française Deezer et la major leader du secteur de la musique enregistrée, Universal Music Group (UMG), passent à l'action.

Dans un communiqué publié ce mercredi, ils annoncent « le lancement d'un modèle de streaming centré sur l'artiste, conçu pour mieux rémunérer les artistes et la musique que les fans apprécient le plus ». Il sera d'abord lancé par Deezer en France, au quatrième trimestre 2023, sur les titres Universal, avant que d'autres marchés ne suivent courant 2024.

« Nous sommes très fiers que ce soit Deezer, en France, qui réinvente le modèle du streaming, avec le numéro un mondial, et dans l'intérêt de l'industrie, commente Stéphane Rougeot, le directeur général adjoint de Deezer. Nous avons aussi des discussions avec l'ensemble des labels, majors comme indépendants, et espérons qu'ils nous rejoignent dans cette évolution majeure pour l'industrie. »

Inflation du nombre de titres

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Le modèle d'origine, dit « market centric », standard du secteur, répartit les revenus de la plateforme entre les labels en proportion des écoutes. « Il a été extrêmement vertueux pour permettre à l'industrie musicale de repartir à la hausse », admet Olivier Nusse, le président du directoire d'Universal en France.

Mais face à l'inflation du nombre de titres présents sur Deezer, comme chez ses concurrents, qui dispersent les streams et les revenus afférents, ce système conçu il y a une quinzaine d'années avait besoin d'être « réimaginé », pour les deux entreprises. Le PDG d'UMG, Lucian Grainge, fait campagne en ce sens depuis le début de l'année. Nourri par l'arrivée quotidienne de plus de 100.000 nouveaux titres, pour la plupart jamais écoutés, le catalogue de Deezer est passé de 90 à 200 millions de contenus ces deux dernières années.

« Il nous a semblé nécessaire de mieux valoriser les créations des artistes qui font ce métier de manière professionnelle et proposent une vraie offre au public, au milieu d'un monceau de titres inspirés d'autres ou qui, pour certains, qui ne sont pas vraiment de la musique », résume Olivier Nusse, le président du directoire d'Universal en France.

« C'est avant tout une grosse avancée pour les artistes, qu'ils soient indépendants ou défendus par un producteur qui a pignon sur rue », ajoute-t-il. C'est aussi dans l'intérêt des utilisateurs, dont « l'expérience ne sera pas polluée par du contenu non musical et qui contribueront à rémunérer plus justement les artistes qu'ils aiment », complète Stéphane Rougeot.

Récompenser l'engagement

Dans ce nouveau modèle, Deezer attribuera un « double bonus » (chaque stream comptera double) aux artistes considérés comme « professionnels » (ceux qui dépassent les 1.000 streams mensuels avec au moins 500 auditeurs uniques).

Un double bonus additionnel récompensera aussi « les chansons qui génèrent un engagement actif des fans » : celles que les utilisateurs auront fait l'effort de rechercher ou qu'ils auront placées dans leurs playlists personnelles. Les titres inclus dans les playlists conçues par les éditeurs de Deezer en bénéficieront aussi. L'influence économique de la programmation algorithmique sera ainsi diminuée.

Deezer compte également remplacer les contenus non musicaux (bruits de pluie, de vague, de machine à laver, etc.), qui représentent environ 2 % du total des streams sur la plateforme mais potentiellement plusieurs dizaines de millions de titres, par ses propres contenus d'ambiance issus de son service Zen, exclus du calcul des rémunérations.

Enfin, l'entreprise continuera de lutter contre les faux streams, qui représentaient 7 % du total des écoutes en 2022. UMG collaborera avec Deezer pour mieux les détecter mais aussi identifier la musique issue de l'intelligence artificielle. Deezer n'a pas arrêté sa position sur la présence de morceaux entièrement produits par l'IA. « Rémunérer du contenu créé automatiquement par l'IA sans intervention d'artistes humains n'irait pas dans le sens de ce que l'on souhaite », précise Stéphane Rougeot.

Effet boule de neige ?

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D'autres ajustements pourront suivre, notamment sur la monétisation des superfans ou l'amélioration du revenu moyen par abonné, qui pourrait passer par l'ajout de nouvelles fonctionnalités.

Au final, « c'est une vraie révolution », juge Olivier Nusse. « Cet accord serait plus important s'il concernait Spotify ou Apple Music, qui ont beaucoup plus d'abonnés », nuance Alice Enders, directrice de la recherche chez Enders Analysis. L'experte y voit toutefois une avancée dans la gestion du problème de la « fausse musique ».

L'initiative pourrait faire tache d'huile. « Universal Music a la capacité de façonner le marché, ce sont eux qui établissent l'agenda », rappelle Mark Mulligan, le fondateur de l'institut MIDiA Research. « J'espère que ça va faire basculer l'ensemble du marché vers une meilleure valorisation des catalogues d'artistes », confirme Olivier Nusse.

Reste à savoir si l'évolution ne fera pas aussi son lot de perdants. « Démonétiser le bruit, c'est positif, favoriser la recherche active, c'est brillant », convient Mark Mulligan. Mais selon lui, le nouveau système sera défavorable aux musiciens émergents. « Il s'agit de prendre aux petits pour donner aux grands, c'est de la redistribution à l'envers », considère-t-il. 

Stéphane Loignon (@stephloignon)

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